« Pour réussir le stage, il faudra que vous utilisiez votre jugement clinique. »
« Selon ton jugement clinique, que feras-tu dans cette situation? »
« Pour être une bonne infirmière ou un bon infirmier, il faut impérativement avoir un bon jugement clinique. »
« Aie confiance en ton jugement clinique. »
Phrases typiques qu’un·e étudiant·e en soins infirmiers ou en sciences infirmières a déjà entendu au moins une fois dans son parcours. Cependant, si le concept n’a pas été explicité au préalable, cela représente une dichotomie: c’est l’équivalent de se faire dire depuis le jour 1 qu’il·elle doit bien faire du vélo, alors qu’on lui apprend ce qu’est un vélo, comment la mécanique des vélos fonctionne, les différentes configurations et modèles disponibles,… mais pas comment faire du vélo.
Bien sûr, le fait d’avoir des connaissances solides est hyper important en soins infirmiers, parce qu’aucune hypothèse clinique ne peut être analysée et posée sans connaissances préalables. Cependant, le développement du jugement clinique est tout aussi important.
Le concept de jugement clinique
Voici la définition du raisonnement clinique retenue par l’OIIQ: « les processus de pensée et de prise de décision qui permettent au clinicien de prendre les mesures les plus appropriées dans un contexte précis de résolution de problèmes. » (Harris, 1993). Plusieurs auteurs affirment qu’au-delà de la somme des connaissances, c’est l’organisation de ces connaissances qui permet un raisonnement clinique efficace et performant (Norman, 2006, Charlin, 2001, Elstein et Schwartz, 2000). Voici un document bien intéressant en lien avec les difficultés de raisonnement clinique et les stratégies de remédiation.
Au-delà de la somme des connaissances, c’est l’organisation de ces connaissances qui permet un raisonnement clinique efficace et performant.
Quand vient le moment de faire l’examen de l’Ordre…
Au moment de faire l’examen de l’Ordre, la candidate ou le candidat à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) peut rapidement être saisi·e par la réflexion que demande les questions lorsque, durant notre parcours scolaire, on a eu l’habitude de répondre à des questions faisant appel aux connaissances.
En effet, même si, au terme de la formation, on a acquis des connaissances pertinentes et fondamentales, la confrontation à une situation clinique peut être difficile parce qu’une réorganisation de ces connaissances est nécessaire pour pouvoir les utiliser dans un contexte réel.
Puisqu’il vise à déterminer si vous êtes apte à exercer la profession infirmière de façon sécuritaire, l’examen de l’OIIQ se concentre beaucoup sur la prise de décisions cliniques.
La prise de décisions cliniques est une activité de résolution de problèmes qui vise à définir un problème et à choisir une action appropriée pour le résoudre. Dans cette prise de décision clinique, une infirmière ou un infirmier identifie le problème d’un·e client·e et choisit la meilleure intervention infirmière sur le plan des préférences personnelles du·de la client·e, des données probantes, des standards de pratique, des règles de l’art et des ressources disponibles.
Exemple concret d’une question d’examen sollicitant le jugement clinique
Laissez-moi vous donner un exemple assez concret. Pensez à comment vous vous sentez en lisant cette question:
Exemple 1
-
L’infirmière s’occupe d’une cliente de 54 ans en période postopératoire d’une gastrectomie subie il y a 4 heures. Un tube nasogastrique (TNG) est installé en succion intermittente. Que l’infirmière doit-elle évaluer en ce qui concerne le liquide de drainage du TNG?
- Couleur, quantité, odeur.
- Couleur, quantité.
- Couleur, odeur.
- Aucune de ces réponses.
Maintenant, comment vous sentez-vous lorsque vous lisez celle-ci?
Exemple 2
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L’infirmière s’occupe d’une cliente de 54 ans en période postopératoire d’une gastrectomie subie il y a 4 heures. Un tube nasogastrique (TNG) est installé en succion intermittente. L’infirmière sait qu’elle doit évaluer la qualité du liquide de drainage en ce qui concerne sa couleur, sa quantité et son odeur. Elle remarque que le liquide de drainage est rouge vif. L’infirmière devrait-elle s’inquiéter de ce constat?
- Oui, car la présence de sang peut être un signe d’hémorragie.
- Oui, car la présence de sang peut signifier un relâchement ou une rupture des sutures gastriques.
- Non, car la cliente ne présente pas de signes de changements hémodynamiques.
- Non, car un aspirat rouge est attendu en période postopératoire immédiate.
Peut-être avez-vous eu un petit sentiment de panique ou un mini infarctus en lisant les choix de réponse.
Ou peut-être avez-vous eu l’impression que chacun des choix du deuxième exemple vous semblait bon, ou avez hésité avant de vous prononcer sur la bonne réponse.
C’est que, voyez-vous, cette question fait appel à plusieurs composantes, et pas aux connaissances seules, comme c’est le cas du premier exemple, où les caractéristiques évaluées du liquide de drainage sont demandées, sans égard à la situation clinique. Pour bien répondre au deuxième exemple de question, l’infirmier ou l’infirmière doit mobiliser et réorganiser ses connaissances en les appliquant à la situation clinique.
Composantes d’une question suivant la mosaïque des compétences de l’OIIQ
D’abord, la question fait appel à la composante qu’on nommera contextuelle suivant la mosaïque des compétences cliniques de l’infirmière (Leprohon, Lessard, Lévesque-Barbès, et Bellavance, 2009). Ainsi, l’infirmier ou l’infirmière doit considérer le problème dans son ensemble, en lien avec les diverses composantes du contexte biopsychosocial de la cliente.
Bien que les deux exemples utilisent exactement la même situation clinique (le contexte), dans le premier exemple, on aurait tout à fait pu l’enlever et pouvoir répondre à la question posée de façon adéquate.
Le contexte dans le premier exemple n’est pas nécessaire pour répondre à la question; il joue davantage un rôle parasitaire ou de remplissage. A contrario, la personne qui répond à la question du second exemple doit, si elle veut avoir une bonne réponse, considérer les éléments spécifiques à la situation clinique de la cliente fictive.
Ici, le TNG a été installé suite à une chirurgie abdominale majeure pour permettre une vidange et un repos gastrique et pour diminuer la pression sur les sutures gastriques, et non pas, par exemple, en prévention des risques d’inhalation chez un client intubé.
Les caractéristiques du liquide de drainage gastrique en période postopératoire immédiat d’une gastrectomie ne seront pas les mêmes que celles dans le deuxième cas de figure.
Cette question fait aussi appel à la composante dite professionnelle. Plus spécifiquement, elle fait appel à la dimension du champ de connaissances scientifiques, qui permettent d’analyser et d’interpréter la situation clinique et d’effectuer les interventions appropriées, et à la dimension de la surveillance clinique, dans la mesure où l’infirmière ou l’infirmier devra se prononcer sur l’importance d’agir (priorisation) suite aux données recueillies lors de la surveillance clinique de la cliente.
Ce n’est pas pour rien qu’il est généralement déconseillé, en préparation à l’examen de l’Ordre, de prendre des mois à réapprendre par cœur chaque notion apprise durant le curriculum scolaire. Si vous vous êtes rendu·es jusque-là, c’est que vous avez les connaissances de base nécessaires à la pratique des soins infirmiers. Il ne vous reste plus qu’à vous exercer pour développer et aiguiser votre jugement clinique.
Développez et mettez au défi votre jugement clinique avec Inf. de poche.
On formule soigneusement nos questions pour qu’elles fassent appel au raisonnement clinique. Chaque réponse est justifiée selon les données probantes et les meilleures pratiques. Notre app vous permet non seulement de vous préparer à l’examen de l’Ordre, mais aussi à votre vie professionnelle.
Et vous, sentez-vous que vos études en soins infirmiers vous ont vraiment préparées à développer un raisonnement clinique?
Références
- Chapados, C., Audétat, M.-C., et Laurin, S., 2014, Le raisonnement clinique de l’infirmière, Perspective infirmière, vol. 11, num. 1.
- Charlin, B., 2001. Le raisonnement clinique, quelques données issues de la recherche, Pédagogie Médicale, vol. 2, n° 1.
- Elstein, A., et Schwartz, A., 2000. Clinical reasoning in medicine, dans J. Higgs et M.A. Jones, Clinical reasoning in the health professions, 2e éd., Oxford, Butterworth-Heinemann-Elsevier.
- Harris, I., 1993. New expectations for professional competence, dans L. Curry et J.F. Wergin, Educating professionals responding to new expectations for competence and accountability, San Francisco, Jossey–Bath.
- Leprohon, J., Lessard, L.-M., Lévesque-Barbès, H., et Bellavance, M., 2009. Mosaïque des compétences cliniques de l’infirmière. Compétences initiales, 2e édition.
- Norman, G., 2006. Building on experience – the development of clinical reasoning, New England Journal of Medicine, vol. 355, n° 21, 23 nov.