Cet article aborde les limites sous trois angles: l’angle personnel, thérapeutique et professionnel.
Nous nous sentons tous·tes plus en sécurité lorsque nous recevons des messages clairs et sans ambiguïté, quand nous savons quelles sont les règles, ce que l’on attend de nous et que ces attentes sont cohérentes.
Connaissez-vous vos propres limites personnelles?
L’objectif ici n’est pas d’offrir des solutions toutes faites lorsque l’infirmière ou l’infirmier est confronté·e à un conflit de valeurs. Il se veut davantage un appel à la réflexion. Je suis convaincue qu’il est utile pour nous tous·tes de prendre le temps de réfléchir et de prendre conscience de nos pensées et de nos actions vis-à-vis des client·es, des collègues, de nos ami·es et de notre famille. Il est très important que les infirmiers et les infirmières soient conscient·es que leurs valeurs et leurs croyances ne sont pas nécessairement celles de toutes les personnes qu’ils·elles soignent, ou encore de tous·tes ses collègues de travail.
En effet, nos valeurs et nos croyances reflètent notre propre culture et sous-culture, découlent d’un choix personnel et sont celles que nous avons choisies pour nous-mêmes suite à une variété d’influences et de modèles de rôle. Ces valeurs (religieuses, culturelles, sociales) nous guident dans notre prise de décisions qui, nous l’espérons, donneront à nos vies un sens, une gratification et une satisfaction.
Les modèles de soins actuels prônent la collaboration client·e/soignant·e dans la prise de décisions et dans l’identification des objectifs et des résultats. Cependant, que se passe-t-il lorsque les valeurs, les convictions et l’interprétation de l’infirmière ou de l’infirmier diffèrent de celles du·de la client·e? Considérez les exemples suivants, qui sont très concrets :
- Une cliente désire subir un avortement alors que cela va à l’encontre des valeurs de l’infirmière.
- L’infirmier estime que la cliente qui a été agressée sexuellement devrait subir un avortement alors que celle-ci veut garder l’enfant.
- Le client a des relations sexuelles non protégées avec plusieurs partenaires, ce qui va à l’encontre des valeurs de l’infirmière.
- L’infirmier ne comprend pas une cliente qui refuse des médicaments pour des raisons religieuses.
- Le client accorde plus d’importance au matériel qu’à la loyauté aux membres de sa famille, ce qui est directement en contradiction avec les valeurs de l’infirmière.
- L’infirmier a des croyances religieuses, alors que la cliente est non-croyante.Le client consomme des drogues illicites, ce qui va à l’encontre des valeurs de l’infirmière.
- La cliente souffre d’obésité morbide, alors que l’infirmier accorde beaucoup d’importance à un mode de vie « sain ».
Comment vous sentez-vous après la lecture de chacun de ces énoncés?
Établir des limites dans le cadre d’une relation thérapeutique
La fixation et le maintien de limites sont essentiels au fonctionnement d’un établissement de santé et des unités qui le composent. L’objectif d’établir des limites n’est pas de déclencher une lutte de pouvoir, mais d’offrir aux personnes qui vous sont confiées des conseils, du respect et un sentiment de sécurité. Les limites fournissent un cadre à partir duquel les client·es, le personnel et les visiteurs peuvent fonctionner.
Bien que l’établissement de limites soit fréquemment soulevé en réponse à des situations où le comportement d’une personne crée une certaine perturbation, il faut se rappeler que les limites font partie de la vie quotidienne. Nous nous sentons tous·tes plus en sécurité lorsque nous recevons des messages clairs et sans ambiguïté, quand nous savons quelles sont les règles, ce que l’on attend de nous et que ces attentes sont cohérentes. L’établissement efficace des limites permet aux client·es de comprendre ce qui se passe et ce qui leur est proposé.
Si l’établissement de limites est un concept familier et est souvent un travail au quotidien pour les infirmières et les infirmiers qui interviennent en psychiatrie et en santé mentale, cela peut être tout aussi pertinent dans les autres contextes de pratique. Plusieurs de nos questions de préparation à l’examen de l’OIIQ abordent l’aspect interpersonnel de la relation thérapeutique. Voici un exemple de question abordant ce sujet :
Situation clinique
L’infirmier s’occupe d’une cliente de 31 ans admise il y a quelques heures sur l’unité de psychiatrie à la suite d’une tentative de suicide. Lors de l’évaluation, elle se met à sangloter, et dit : « Je me sentirais tellement mieux si tu pouvais t’asseoir près de moi et me tenir la main. ».
Question
Quelle affirmation de l’infirmier est la plus appropriée dans l’établissement des limites avec cette cliente?
- « Je suis ton infirmier. Je ne suis pas ton ami. Ce genre de comportement est inapproprié. »
- « Je suis ton infirmier. Je suis ici pour discuter avec toi des problèmes qui ont conduit à ton admission, et pour t’aider à développer de nouveaux mécanismes d’adaptation. Ce genre de comportement n’est pas approprié entre infirmiers et patients. »
- « Je ne me sens pas vraiment à l’aise de faire ce que tu me demandes. »
- « Je peux m’asseoir plus prêt de toi si tu le souhaites, mais je ne vais pas te prendre la main. Je dois garder une distance dans notre relation thérapeutique, et ce que tu me demandes va au-delà d’une relation entre un infirmier et une patiente. »
Que répondriez-vous à cette question? 🤔
Pour finir: les limites professionnelles et déontologiques
Une relation thérapeutique est un lien planifié, orienté vers un but et contractuel entre un infirmier ou une infirmière et un·e client·e, dans le but de lui fournir des soins afin de répondre à ses besoins thérapeutiques. Les limites professionnelles identifient les paramètres de la relation thérapeutique dans laquelle les infirmières et les infirmiers fournissent des soins. Une relation professionnelle se caractérise par la confiance, le pouvoir et l’intimité (OIIQ, 2019). L’infirmière ou l’infirmier doit chercher à établir et maintenir une relation de confiance avec son·sa client·e.
Au Québec, ces limites sont régies par le Code de déontologie des infirmières et infirmiers. Les articles 28 et suivants traitent de la relation entre l’infirmier ou l’infirmière et le·la client·e.
Pendant la durée de la relation professionnelle, l’infirmière ou l’infirmier ne peut établir de liens d’amitié, intimes, amoureux ou sexuels avec le client. Pour déterminer la durée de la relation professionnelle, l’infirmière ou l’infirmier doit tenir compte, notamment, de la vulnérabilité du client, de son problème de santé, de la durée de l’épisode de soin et de la probabilité d’avoir à redonner des soins à ce client.
Code de déontologie des infirmières et infirmiers, article 38.
Références
- Code de déontologie des infirmières et infirmiers, RLRQ, chapitre I-8, r.9.
- Letourneau, J., Brisson, M., Roy, É., 2019. Relation professionnelle avec les clients: il revient à l’infirmière d’en établir les limites, Perspective infirmière, vol. 16, n°5, p. 64-65. En ligne: https://www.oiiq.org/documents/20147/8153133/Revue-PI-vol-16-no5-complet-LR.pdf#page=64
- Sharrock, J., Rickard, N., 2002. Limit setting: a useful strategy in rehabilitation, Australian Journal of Advanced Nursing, vol. 19 n°4.
- Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, 2006. Practice standard: therapeutic nurse-client relationship. En ligne: https://www.cno.org/globalassets/docs/prac/41033_therapeutic.pdf
- Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2006. Indépendance professionnelle et conflits d’intérêts, Orientations à l’intention des infirmières. En ligne: https://www.oiiq.org/documents/20147/237836/216r_doc.pdf
- Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2006. Pour des relations professionnelles intègres, Orientations à l’intention des infirmières concernant l’indépendance professionnelle et les conflits d’intérêts. En ligne: https://www.oiiq.org/documents/20147/237836/216_doc.pdf